christiane gérard - lauwrence marsh


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Concerne: proposition de publication sur le site du Musée de la transfusion sanguine et du don de sang de la Fédération Française pour le don de sang bénévole

 Dans un des numéros de Immunohematology (volume 14, Nø1, 1998) édité par l'American Red Cross, j'ai trouvé, à la page 37, une Lettre à l'Editeur dont on apprend à la page suivante qu'elle a été écrite par W. Laurence Marsh, deux mois avant sa mort.

Grand homme de l'Immunohématologie qu'il ne faut sans doute plus présenter, Marsh décrit dans cette lettre la glorieuse époque qu'ont dû connaître tous les "transfuseurs" de plus de 45 ans. J'ai pris la liberté de traduire ce texte. Au départ, cette traduction, je la destinais aux techniciennes les plus anciennes de notre laboratoire; celles qui ont vécu ce que nous désignons entre nous par "le temps jadis". En pratique, je pense que bon nombre de médecins et de techniciens prendraient beaucoup de plaisir à voir évoquer si plaisamment et chaleureusement une époque révolue, définitivement dissoute dans les arcanes de l'automatisation, de la rentabilité, de l'ISO et autres SOP...

Je vous propose donc cette traduction sauvage en soumettant à votre appréciation l'idée de la publier.

 Christiane Gérard, Dr.Sc., Ph.biol.

Chef de Laboratoire associé‚

Service d'Immuno-Hématologie du CHU de Liège

Responsable de la banque de sang du CHU de Liège

 

Lettre écrite par W. Laurence Marsh 2 mois avant son décèS et publiée dans Immunohematology volume 14, Nø1, 1998, p37.

 "C'était le bon temps"

 J'ai tout récemment reçu dans mon courrier, un catalogue décrivant les merveilleux anticorps monoclonaux et autres réactifs dont disposent actuellement ceux qui travaillent dans le domaine de l'immuno-hématologie. Une nuée de pensées nostalgiques me sont venues en évoquant comment tout cela avait progressé.

 En 1955, j'ai été nommé‚ chef de laboratoire dans un nouveau Centre de Transfusion en Angleterre. A cette époque, les réactifs commerciaux de groupes sanguins n'existaient pas en Angleterre et tout ce dont on avait besoin devait être fabriqué "maison". C'était une époque passionnante car on en connaissait si peu que pratiquement tout ce qu'on faisait apprenait quelque chose de neuf. On dépistait le sérum des donneurs et des patients immunisés pour rechercher ceux qui, ayant des anticorps de titres élevés, pouvaient servir à la préparation de sérums-tests. La Maladie Hémolytique du nouveau-né était très fréquente et les anti-Rhésus faciles à trouver. Nous procédions nous mêmes à l'absorption des anticorps contaminants.

 Comme on disposait d'une animalerie avec des lapins et des cobayes, on fabriquait le réactif de Coombs en injectant du sérum humain total ou des globulines précipitées du sérum  par de l'alum. On fabriquait aussi de l'anti-A et de l'anti-B de lapin pour étudier les sous groupes ABO, et de l'anti-M et de l'anti-N de lapin (il y avait des tricheurs), et un sérum expérimental anti-plaquette polyspécifique pour essayer, et peut être découvrir quelque chose dans le domaine des antigènes plaquettaires. On appelait tous les lapins par leur nom; ce dernier étant choisi de manière à indiquer l'objectif: Albert et Alphonse faisaient de l'anti-A, Bertie de l'anti-B, Pluton était le lapin "plaquette". On utilisait le test de fixation du complément de Wasserman pour tester la Syphilis chez les donneurs de sang, et une fois par semaine, je saignais un cobaye par ponction cardiaque pour obtenir du sérum frais pour le complément.

 Un de nos réactifs favori, un excellent anti-H, était préparé à partir de graines d'Ulex Europeus. Chaque année, pendant la première semaine d'août, ma famille et quelques techniciens stagiaires du laboratoire passaient une après midi à ramper entre les buissons d'Ulex sur une zone déjà étendue de la campagne locale, pour récolter les microscopiques gousses de graines. Après quoi, on s'en retournait tous au laboratoire pour ouvrir ces minuscules cosses et récolter les graines aussi rapidement que possible. Il fallait faire vite, sinon les minuscules araignées logées à l'intérieur de la plupart des gousses n'auraient pas manqué de manger toutes les graines. On a aussi obtenu de l'anti-H d'anguilles; des anguilles qui avaient été achetées vivantes sur un marché local en plein air et ramenées au laboratoire emballées dans du papier journal.

 La lectine anti-A1 ‚tait extraite des graines de Dolichos biflorus. C'était un cadeau qu'un collègue indien nous avait offert. Une note énigmatique accompagnant le colis recommandait d'ouvrir la boîte sous l'eau. Comme on ne savait trop comment interpréter cette remarque, on a prudemment ouvert le paquet sur la table de travail. Une véritable éruption d'araignées noires, énormes, a alors jailli de la boîte et nous avons passé dix minutes hallucinantes à essayer de les écraser avec les blocs chauffants et tout ce qui nous tombait sous la main.

 A cette même période, une étude publiée rapportait qu'une plante, Begonia punctatum, lorsqu'elle était injectée avec des globules rouges Rhésus positifs, manifestait une réponse immune et fabriquait de l'anti-D. C'était une observation vraiment très surprenante, et plusieurs laboratoires, dont le notre, tentèrent de la reproduire. Des globules rouges Rh positifs furent donc injectés dans la tige de la plante. La seule observation que l'on fit releva de la physique la plus élémentaire. Lorsqu'une injection était faite un jour dans le bas de la tige, les globules rouges injectés plus haut le lendemain ressortaient par le trou fait le jour avant. Bien que nous ayons essayé de solliciter ainsi toute la plante - et même les fleurs - nous n'avons jamais, et personne d'autre non plus d'ailleurs, trouvé‚ aucune trace d'anti-D.

 L'histoire du Begonia nous a donné l'idée de nous intéresser à l'activité anticorps-like que possèdent certaines graines. On décida de voir si la puissante activité anti-A de Dolichos pouvait être influencée par la présence d'antigène A au niveau des racines. On a alors cultivé des graines de Dolichos dans un milieu synthétique en utilisant en guise de nutriments, des produits chimiques qui furent tous analysés pour bien s'assurer qu'ils ne possédaient aucune activité A-like. Certaines plantes furent arrosées avec des globules rouges A1 lysés, tandis que les contrôles recevaient des globules O et B. On avait beau savoir que Dolichos était une plante volontaire, on fut quand même surpris de la croissance obtenue. Les plantes étaient disposées dans de grandes jardinières exposées à la fenêtre du laboratoire principal. On avait bricolé un échafaudage spécial pour supporter les plantes grandissantes et nous fûmes consternés de constater que bien avant que la moindre cosse ne soit visible, la fenêtre était complètement occultée par une masse dense et compacte de végétation. Et pendant un certain temps, nous avons travaillé dans une perpétuelle semi-obscurité. Le résultat final révéla, bien entendu, que quel qu'avait été l'antigène utilisé pour abreuver les plantes, l'activité anti-A dans les graines était la même. En fait, la capacité de liaison avec les hydrates de carbone que possèdent les graines est associée au métabolisme végétal, et le fait que des sucres identiques jouent un rôle dans les spécificités antigéniques humaines n'est que pure coïncidence.

 Une partie des souvenirs heureux de ce "temps jadis" réside en fait dans la qualité‚ des relations humaines qui existaient dans le domaine des groupes sanguins. On partageait tout. Race et Sanger nous racontaient ce qu'ils faisaient de nouveau, et on leur rendait la pareille en leur donnant des réactifs que nous fabriquions nous mêmes, ou en échangeant les échantillons de sang intéressants que nous étudiions. Il n'y avait pas de standard, pas de règles pour présider aux manipulations, mais chacun faisait de son mieux pour atteindre le meilleur dans tout ce qu'il faisait. C'étaient peut être les temps les plus durs, mais certainement aussi les meilleurs.

W. Laurence Marsh 1926-1997.

 



L'origine : Christiane Gérard, Dr.Sc., Ph.biol.

Chef de Laboratoire associé‚

Service d'Immuno-Hématologie du CHU de Liège